Dans une période de temps relativement courte au regard de l'histoire (deux siècles) le peuple aztèque avait fondé un des plus puissants empires de l'Amérique centrale. ils avaient aussi bâti au milieu du lac de Texcoco une des plus grandes villes du monde : la ville de Tenochtitlan. Ville splendide et resplendissante de 500 000 habitants. Et pourtant il n'y avait au milieu de ce lac que quelques îlots sur lesquels une population nomade de chasseurs-cueilleurs avaient construit quelques huttes en roseau.
Les aztèques étaient en effet de grands bâtisseurs (temples, palais, aqueducs, canaux, ponts, chaussées), connaissaient l'écriture (idéogrammes, pictogrammes) les mathématiques, l'astronomie (calendrier solaire), le travail de l'or et de l'argent. Ils avaient développé les arts et la littérature, la poésie. Les plus jeunes fréquentaient les écoles (un système éducatif unique dans le monde de l'époque) . Paradoxalement ils n'utilisaient pas le principe de la roue et la technologie dans de nombreux domaines restait peu développée.
Pour cela, la société aztèque était passée, par des phases d'organisation civile, administrative, religieuse et militaire. Elle avait porté à sa tête un empereur ou tlatoani. Les plus connus sont Itzcoatl, Moctezuma et Cuauhtémoc. Les chefs militaires, par leurs conquêtes, les prêtres par leurs connaissances de l'extrême complexité du polythéisme nahuatl et des sciences divinatoires, les administrateurs par leurs capacités à faire rentrer les tributs ou les taxes, les marchands à commercer et à renseigner la connaissance et les ressources des terres lointaines, formaient les classes supérieures.
Les agriculteurs, les artisans et les esclaves constituaient les classes populaires nombreuses et industrieuses. Cependant la reconnaissance du mérite, des services rendus, la toute puissance du souverain, permettaient à un grand nombre de s'élever dans les castes aristocratiques.
Ils avaient aussi développé les échanges et les marchés regorgeaient de produits de toutes sortes : fruits, légumes -tomates, avocats, mais, haricots, courges, patates, vanille, cacahuètes, fèves de cacao ( qui constituaient une monnaie empirique dans sa fonction unité de compte), papayes, patates douces, piments, tournesol-vêtements, cotonnades, produits artisanaux.
Malgré la magnificence de leur civilisation, les aztèques restaient un peuple anxieux. Les dieux avaient donné leur sang pour la survie de l'univers et pour permettre au soleil de renaître chaque matin. Alors les hommes devaient suivre l'exemple des dieux. Dans le respect de cette croyance et de l'effroi d'une disparition de l'univers, des flots de sang allaient couler sous les couteaux d'obsidienne des prêtres mais aussi des haines inextinguibles apparaître entre les aztèques et les peuples soumis qui se devaient de fournir leur tribut humain de sacrifiés. La religion expliquait le monde. Ce sera une des causes principales de la chute de cet empire.
Car ces divisions vont permettre aux conquérants espagnols de s'emparer en deux années à peine de Tenochtitlan et mettre fin à une culture en plein épanouissement. La science militaire des aztèques reposait sur le courage, le charisme des chefs, sur la masse, sur des armes blanches (frondes et lances à pointes d'obsidienne, épée en bois) mais cela ne suffisait pas à vaincre une armée organisée formée de cavaliers, de fantassins cuirassés armés de mousquets, d'arquebuses de lances ou d'épées d'acier, et dotée d'une artillerie. Armée qui pouvait aussi compter sur le soutien de masses indiennes alliées plus nombreuses que les aztèques eux-mêmes. Enfin, malgré quelques victoires et une résistance héroïque, la maladie (variole) pendant la conquête achèvera la destruction de l'empire (prise de Tenochtitlan après trois mois de siège le 13 août 1521 par Hernan Cortès). La capitale avec ses palais, ses temples, ses jardins fleuries, ses animaleries, ses places de marchés sera détruite pour être reconstruite sur le même emplacement. Les églises remplaceront les temples. Les survivants seront cantonnés dans certains quartiers. Beaucoup de codex (livres) et d'objets culturels (joaillerie, parures de plumes, objets cultuels, céramiques) subiront un autodafé en règle et des milliers d'hommes seront condamnés au bûcher pour des pratiques religieuses illégales.
Pour autant, le passé ne disparait jamais vraiment. Le nahuatl comme d'autres langues préhispaniques a toujours des locuteurs. De nombreux objets artisanaux vendus sur les marchés déclinent de facétieux visages de déités anciennes (dieu de la guerre, de la pluie, des moissons). Les vêtements (blouse, pagnes ) ainsi que la gastronomie n'ont pas oublié les anciens mondes. Les chantiers effectués dans Mexico mettent constamment à jour des ruines d'édifices préhispaniques. Les indications des stations dans les métros comportent des idéogrammes (facilitant la compréhension pour les indigènes). Les gares de chemin de fer, la majorité des villes portent des noms à consonnance nahuatl. Les avenues portent les noms des empereurs et de nombreuses statues les représentent. Des fresques couvrent des pans entiers d'édifices modernes, scènes de marchés préhispaniques. Les jardins flottants subsistent dans le quartier de Xochimilco. La décoration intérieure des églises a été réalisée par des artistes amérindiens. Mais c'est dans un syncrétisme religieux étonnant que les croyances religieuses anciennes réapparaissent lors des pèlerinages : des participants nahuas, revêtus de costumes aztèques, miment les différentes phases de la conquête et se livrent devant les autels à des danses préhispaniques. Et c'est au sein du monde rural, dans les humbles demeures des pueblos que ce phénomène est probablement le plus profond.
Le peuple mexicain est marqué par son histoire . La place de Tlatelolco, dite place des trois cultures, située sur les ruines du plus grand marché mexicain de l'ancienne capitale (où se déroulèrent les derniers combats) résument ces trois phases : période préhispanique, coloniale, mexicaine. La première ne saurait être jugée, malgré certains rites particulièrement cruels , au travers de nos prismes occidentaux. Elle ne fait que raconter l'incroyable odyssée d'une civilisation arrêtée, par ses insuffisances matérielles et son interprétation religieuse et mentale des évènements, dans son élan face à l'envahisseur étranger. Le temps écourté (deux siècles) n'a pas suffi pour donner aux sciences une place plus importante dans le domaine de la rationalité et des progrès technologiques) La seconde conduit à assoir la domination brutale des colons espagnols (ethnocide culturel, asservissement des populations, effondrement démographique, conversion de masse). La troisième, ponctuée de révolutions indigènes et métisses donne naissance au Mexique moderne capable d'assumer les cultures qui ont contribué à sa construction et de se pencher sur son histoire.